Une victime d’un accident de la route assigne pour réparation de ses divers préjudices l’assureur de la personne responsable du sinistre. Dans le même temps lors de la première audience devant le juge de la mise en état le Conseil de la victime demande le versement d’une provision à valoir sur le montant final de l’indemnisation. Le juge accorde dans son ordonnance une provision nettement inférieure au montant demandé.
Cette ordonnance étant exécutoire de plein droit, la provision est immédiatement versée à la victime qui souhaite malgré tout faire appel de cette ordonnance pour augmenter sensiblement sa provision dans l’attente d’une procédure au fond qui risque d’être longue. Sachant que le pouvoir du juge de la mise en état pour déterminer le montant de la provision à valoir sur l’indemnisation finale du préjudice qui sera allouée à la victime reste entièrement discrétionnaire, la victime se heurte à une irrecevabilité de l’appel qui découle d’une complexité procédurale plus déroutante qu’il n’y paraît.
Pourtant la matière est régie par ce qui semble de premier abord être un texte clair et exhaustif du Code de procédure civile, l’article 776 en l’occurrence. Cet article dispose que “Les ordonnances du juge de la mise en état ne sont pas susceptibles d’opposition. Elles ne peuvent être frappées d’appel ou de pourvoi en cassation qu’avec le jugement statuant sur le fond.
Toutefois, elles sont susceptibles d’appel dans les cas et conditions prévus en matière d’expertise ou de sursis à statuer. Elles le sont également, dans les quinze jours à compter de leur signification, lorsque : 1° Elles statuent sur un incident mettant fin à l’instance, elles ont pour effet de mettre fin à celle-ci ou elles en constatent l’extinction ; 2° Elles statuent sur une exception de procédure ; 3° Elles ont trait aux mesures provisoires ordonnées en matière de divorce ou de séparation de corps ; 4° Dans le cas où le montant de la demande est supérieur au taux de compétence en dernier ressort, elles ont trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier au cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable“.
Le principe énoncé à l’article 776 CPC semble donc être clairement l’absence d’ouverture d’une voie d’appel contre les ordonnances du juge de la mise en état, lesquelles ne peuvent être frappées d’appel qu’en même temps que le jugement qui statue sur le fond du litige, SAUF dans des cas exceptionnels qui sont au nombre de quatre. Celui qui nous intéresse est le dernier (4°) qui se réfère très précisément aux ordonnances qui accordent une provision à la victime avec la double exigence préalable de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable d’une part et de la réclamation d’un montant supérieur au taux de compétence en dernier ressort (4000€) d’autre part.
En d’autres termes une stricte lecture du texte de loi implique que toute ordonnance du juge de la mise en état accordant une provision lorsque la réclamation totale de la victime n’excède pas 4000€, ou refusant une provision lorsque l’existence de l’obligation ne peut pas être sérieusement contestée, pourra faire l’objet d’un appel avant tout jugement au fond.
Cette lecture doit cependant être modulée et nuancée à l’aune des précisions apportées par la Haute Juridiction et des avis émis dans les récents rapports de son conseiller rapporteur. Pour les besoins de cohérence et d’uniformité jurisprudentielle, ces précisions (par ex. C. cass. Ch. mixte, 25 oct. 2004, Bull.2004, n° 3, p. 6, pourvoi n° 03-14.219) sont venues établir un parallèle avec le texte de l’article 544 du même Code de procédure civile qui dispose que “les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d’appel comme les jugements qui tranchent tout le principal“.
L’octroi d’une provision est bien évidemment une mesure provisoire et la décision qui l’accorde ne pourra donc faire l’objet d’un appel que si elle tranche une partie du principal, par exemple en retenant le principe de la responsabilité du défendeur en qualité d’auteur du dommage.
Cette détermination résulte en général soit d’une prise de partie clairement énoncée “la créance de réparation étant certaine en son principe, il convient d’allouer…“, soit d’une formulation du dispositif qui ne laisse aucune place à l’ambiguïté dès lors que la provision octroyée est “à valoir sur la condamnation définitive après expertise“.
Une telle lecture laisse cependant peu de place, dans sa cohérence stricte et implacable, à un appel qui serait interjeté par la victime elle-même dans le seul but de gonfler le montant de la provision qui lui a déjà été octroyée par l’ordonnance. La victime pourra ainsi faire appel de l’ordonnance qui refuse la provision dans un cas où la responsabilité de l’auteur est incontestablement engagée au-delà d’un montant de 4000€, mais elle ne pourra pas justifier d’une cause lui permettant de débattre en appel les éléments sur lesquels le juge de la mise en état à pu se fonder pour octroyer le montant de la provision contestée.
On peut dire pour conclure que, dès lors que l’ordonnance du juge de la mise en état accordant une provision a un caractère provisoire et ne détermine pas l’issue du litige, elle ne pourra être frappée d’appel qu’à la fin de la procédure au fond en même temps que le jugement principal. En revanche, si cette ordonnance se détermine sur l’issue du litige et se positionne très clairement quant au principe même de la responsabilité engagée par l’auteur du dommage, ce dernier pourra seul interjeter appel de la décision, à l’exclusion de la victime créancière de la provision qui se heurtera, en ce qui la concerne, d’abord à l’absence d’intérêt d’agir dès lors que le fait pour le juge de trancher une partie du principal lui a été favorable, ensuite au pouvoir discrétionnaire du juge de la mise en état pour ce qui est d’une éventuelle contestation de l’insuffisance de la provision octroyée.
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