L'OBJECTIF DE CETTE DERNIÈRE PARTIE CONSISTE À IDENTIFIER UNE SORTIE DE CRISE RÉALISTE ET CRÉDIBLE DONT LA POPULATION ET LES INSTITUTIONS LIBANAISES POURRAIENT S'ACCOMMODER.
Pour cela, la tâche essentielle consiste à tenter de trouver une solution plus au moins pérenne au déficit budgétaire chronique et historique de la balance des paiements de l’Etat Libanais.
Ce déficit budgétaire représentait en 2018 - dernière année avant la crise économique aiguë que traverse actuellement le pays - 11% du PIB national, soit 6 Milliards de dollars US pour un PIB de 55 Milliards.
Ce déficit très lourd que le pays traîne depuis plusieurs décennies comme des chaînes d'asservissement perpétuel résulte d'une combinaison de trois facteurs principaux :
(1) l’endettement rendu nécessaire par les besoins de la reconstruction de l'infrastructure du pays détruite durant la guerre civile,
(2) les recettes fiscales excessivement faibles du Trésor Public libanais ; grevées par une loi qui protège de manière excessive le secret bancaire;
(3) un État dépensier forcé de soutenir le pouvoir d'achat d'une grande partie de la population et de garantir la cohésion sociale en subventionnant plusieurs denrées essentielles telles que la farine, l'électricité et l'essence.
De plus, une corruption endémique et larvée au sein de l'Etat aggravée par une complaisance communautaire dans la répartition des ressources de la nation, entraîne des dépenses excessives et injustifiées sur des emplois fictifs et des traitements de fonctionnaires souvent inexistants, obérant en permanence les comptes publics.
AVANT TOUT EXAMEN DES OPTIONS DE SORTIE DE CRISE, IL EST UTILE D'ÉTABLIR AU PRÉALABLE UN DIAGNOSTIC COMPTABLE ET UN ÉTAT DES LIEUX CHIFFRÉ DES COMPTES PUBLICS.
Sur la base de la comptabilité établie en 2018 peu avant la crise, soit à l'issue de la dernière année dite "normale", les recettes de l’État s'élevaient à 12 Milliards de dollars US.
Les dépenses de l'État s'élevaient, quant à elles, à 18 Milliards de dollars US, en affichant la répartition suivante: 41% pour les salaires des fonctionnaires ; 36% pour le service de la dette ; 11% pour la prise en charge de la dette de l'établissement public Electricité Du Liban.
Les chiffres de 2021 s'annoncent évidemment bien plus alarmants. Dans son dernier rapport sur le Liban publié en automne dernier sous l'intitulé tragiquement éloquent "Le Grand Déni", la Banque Mondiale estime le PIB libanais de 2021 à 21 Milliards de dollars US (soit une contraction supérieure à 60% par rapport à 2018), alors que la population doit faire face à un taux d'inflation de 145% qui est le plus élevé du monde.
Les revenus et les dépenses de l'Etat libanais pour l'année 2021 chutent de manière drastique pour s'équilibrer à hauteur de 1,5 milliards de dollars US pour chacun des deux postes, réduisant dès lors à néant toute tentative d'appréhender selon des critères économiques universels et logiques l'absence de déficit dans le budget de l'Etat de 2021.
Le double constat qui se dégage de cet effondrement généralisé est la quasi suppression du service de la dette publique dès lors que l'Etat libanais a décidé de faire défaut en mars 2020, ainsi que la quasi disparition des subventions publiques sur les denrées de première nécessité, réduites aujourd'hui aux seuls produits pharmaceutiques rares encore disponibles sur le marché.
Pour ce qui est de la banque centrale du pays ("BDL"), celle-ci doit rembourser 60 Milliards de dollars US en créances de dépôts dues aux banques commerciales du pays (qui représentent autant de prêts de ces dernières à la BDL - tenue de financer le train de vie excessif de l'État libanais - et sur lesquels la BDL doit payer 4 Milliards d’intérêts par an, augmentés des réserves obligatoires remises par les banques.
L'aggravation de cette crise financière aiguë qui résulte d'un arrêt brutal de l'alimentation de la pyramide de Ponzi en devises fortes a bien évidemment eu des répercussions dramatiques sur la population, notamment sur la classe moyenne du pays.
La BDL a tenté de trouver des solutions locales, très limitées dans leur portée, mais surtout léonines et peu crédibles, pour donner aux déposants libanais un semblant d'espoir pour ce qui est du recouvrement de leurs avoirs en devises fortes.
L'écart monumental qui existe, à 6 mois d'intervalle, entre les deux dernières circulaires émises par la BDL à cet effet, montre l'étendue du manque de crédibilité des mesures locales et de l'inquiétude que les déposants sont en droit de nourrir sur leur capacité de recouvrement.
Déjà, la circulaire n° 158 publiée en juin 2021 et qui permettait des retraits plafonnés à 800$ par mois dont la moitié à un taux de change "bonifié" de 12000 LL/1$ (alors que le taux du marché est plus proche de 23000 LL) impliquait pour chaque déposant libanais une perte d'épargne ("
haircut") estimée à 26% environ.
Avec la récente circulaire n° 601 publiée le 9 décembre 2021 et autorisant des retraits plafonnés à 3000$ par mois mais à un taux de change uniforme de 8000 LL/1$ pour la totalité, la perte sur le recouvrement des avoirs du même déposant est maintenant estimé à 68%.
La classe politique corrompue qui s'accroche encore aujourd'hui au pouvoir par tous moyens n'a malheureusement toujours pas compris la gravité du marasme et la nécessité de mettre en oeuvre de toute urgence un plan drastique de sauvetage.
Comme dans toute crise qui traîne en longueur, seule une explosion finale et massive - en l'occurrence sociale et économique, qui est craindre - est susceptible de pousser les protagonistes réfugiés dans le déni à se ruer de manière désordonnée sur le sauveteur prêt à lui tendre la main et à lui proposer un plan de sortie de crise.
Lorsque cette échéance se présentera dans les prochains mois, les mesures concrètes que cette classe politique aura refusées de manière irresponsable pendant toutes ces années et qu'elle sera alors obligée soit d'adopter elle-même, soit de laisser introduire par de nouveaux dirigeants, devra fatalement inclure les mesures suivantes:
- une restructuration de la dette publique du Liban sous l’égide du Fonds Monétaire International avec l’introduction de réformes fiscales dures et des remises de créances au profit de l'État libanais fortement débiteur;
- une consolidation du secteur bancaire qui entraînerait alors la disparition de certaines banques de petite et de moyenne taille, car incapables de se recapitaliser*;
- un étoffement des revenus de l’État Libanais par le biais d'une augmentation des taxes et des impôts notamment de la TVA (actuellement de 10%) et par une privatisation de certains services et organismes publics tels que le fournisseur d'électricité EDL.
- une fin des subventions qui entraînera nécessairement un appauvrissement des Libanais par suite d'une réduction massive de leur pouvoir d’achat.
- une des mesures les plus controversées mais qui sont les plus à craindre portera nécessairement sur les garanties qui seront exigées par la communauté économique internationale de l’État Libanais afin qu'il puisse retrouver un accès au crédit suite à son défaut de paiement tout à fait inattendu sur ses Eurobonds en mars 2020.
Après ce défaut inattendu, l'État risque en effet d'être obligé d'hypothéquer certaines de ses rares ressources (réserves d’or, entreprises et services publics privatisés, à terme les réserves de gaz dont les recettes seraient consignées dans un compte supervisé par les créanciers).
CEPENDANT UNE INCONNUE DEMEURE CONCERNANT LE FACTEUR HUMAIN, PRINCIPALE RESSOURCE DU LIBAN.
Ce facteur humain correspond au 5ème et dernier stade de l’effondrement des nations que l'auteur Dmitry ORLOV a décrit dans son ouvrage «
The five stages of collapse ».
Cette incertitude est très préoccupante car elle résulte du constat navrant mais inévitable d'une fuite persistante des cerveaux et du départ définitif pour l'étranger des jeunes Libanais qualifiés disposant d’un niveau avancé d’éducation, de compétences et de savoir-faire.
Il est en effet impossible d'imaginer que l'économie du pays puisse se remettre sur les rails sans une mobilisation active et durable d'une jeune élite aussi qualifiée que dédiée à l'avenir du pays. Par ailleurs, on est en droit de se demander, en l'absence de ce facteur indispensable, si le Liban ne continuera pas de dériver comme un vulgaire pays-satellite de la dernière puissance capable de s'imposer dans la région, sans jamais réussir ni à accomplir son destin culturel ni à réaliser son potentiel économique.
* A TERME, TROIS CATEGORIES DE BANQUES SUBSISTERONT APRES CONSOLIDATION
BANQUES A LIQUIDER CAR INCAPABLES DE SE RECAPITALISER |
Celles-ci devront faire face à une poursuite des procédures judiciaires à l’étranger contre les biens propres des dirigeants à condition de les trouver |
BANQUES SUFFISAMENT SOLIDES POUR PROMETTRE DE REMBOURSER TOUS LES DEPÔTS |
Ce sont les seules à espérer une chance de survie |
BANQUES QUI APPLIQUERONT LE HAIRCUT SUR LES DEPÔTS |
Devront faire face à une perte de confiance durable et risquent de ne pas survivre à terme |