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Mesures visant au recouvrement des comptes bloqués des déposants Libanais (1ère de 3 parties)

Auteur : Rachid SAFA
Publié le : 05/01/2022 05 janvier janv. 01 2022

I. INTRODUCTION
 
Les difficultés auxquelles les déposants libanais doivent faire face aujourd’hui dans leurs efforts visant à récupérer leurs avoirs bancaires et celles que connaît tout le secteur bancaire libanais dans son ensemble ne sont pas seulement un des aspects ou une des facettes de la crise économique aigüe dans laquelle le Liban a sombré, mais aussi peut-être une des causes essentielles qui sont à l’origine même de cette crise.

En procédant à un état des lieux pour mieux appréhender les solutions à venir, on peut dire que passer en revue la politique monétaire et bancaire du Liban des 20 dernières années consiste à dresser la chronique d’une catastrophe annoncée.

Les autorités libanaises ont progressivement tissé la toile de l’engluement économique du pays et semé les graines de ce qui a conduit à terme à l’explosion – malheureusement au sens propre du terme, lorsqu’elle atteint les citoyens dans leur chair vive – économique, sociale, institutionnelle et environnementale.

Une fois qu’on aura posé ce constat, on sera plus à même de comprendre :
 
  1. D’une part, le contexte contractuel qui aura permis de créer la batterie de mesures judiciaires auxquelles le secteur bancaire doit faire face aujourd’hui (compétence juridictionnelle des tribunaux étrangers sur les dépôts libanais);
  2. D’autre part, les défis et les risques qui pèsent sur l’ensemble de la communauté des épargnants libanais dans la perspective éventuelle de la mise en place, dans un scénario de sortie de crise sous l’égide du FMI[1], d’une restructuration de la dette publique libanaise qui sous-entend une réforme bancaire et un prix socio-économique à payer par le pays (« haircut » ou contraction forcée), pour les besoins de la répartition, parmi les parties prenantes, de la contribution aux pertes.
  [PJ-1]
  • LIR   Lending interest rate ;   DIR    Deposit interest rate
  
II. CHRONOLOGIE DE LA CRISE LIBANAISE - ÉVÉNEMENTS MAJEURS
 
2000-2018 :  Le poids de la dette – qui excède déjà 180% du PIB en 2006 – devient  insoutenable et la BDL assume une responsabilité considérable dans une mauvaise gestion des finances de l’Etat avec une politique : 1) d’arrimagede la livre libanaise au dollar US ; 2) d’intérêts élevés pour attirer les dépôts et les capitaux étrangers => au final : (a) forte dollarisation de l’économie et dégradation des bilans des banques ; (b) 75% des créances du secteur bancaire sont sur le secteur public (un seul débiteur, l’État qui achète la paix sociale par voie de subventions) réduisant à une peau de chagrin les ressources disponibles pour le financement du secteur privé, ce qui entraîne une spirale infernale.

17 oct. 2019 :  Début de la « Révolution » déclenchée par un projet (avorté) d’instauration d’une taxe WhatsApp.

11 nov. 2019 : Le Gouverneur de BDL annonce que les banques peuvent obtenir de BDL des dollars US à un taux d’intérêt de 20% avec interdiction de les transférer à l’étranger.

17 nov. 2019 : Communiqué de presse de l’Association des Banques au Liban (« ABL ») instaurant de manière unilatérale et sans fondement juridique des restrictions de transferts à l’étranger équivalant en pratique à un gel ou un blocage des comptes bancaires en devises.

6 mars 2020 :   Défaut de paiement du Liban portant sur une échéance de prêt du FMI ($1.2B).

21 avril 2020 : Circulaire n° 151 de la BDL autorisant retraits dollars à un taux officiel de 3900LL/1$ au lieu de 1500LL.

4 août 2020 :   Explosion du port de Beyrouth.

1er juin 2021 :  Le Conseil d’État annule la Circulaire BDL n° 151 considérée comme illégale.

8 juin 2021 :     Circulaire n° 158 de la BDL autorisant retraits annuels de 4 800 USD plafonnés à 50 000 USD par compte.

23 sept. 2021 : Formation du nouveau gouvernement Nagib Mikati dont la principale mission est de négocier un plan de restructuration avec le FMI comprenant une aide financière y compris au secteur bancaire
=> Tout accord engagerait le Liban et l’ensemble des secteurs concernés et devrait préempter définitivement, pour des raisons d’ordre public interne, toute tentative de recours par un déposant individuel, comme dans le cas d’une faillite d’entreprise 
=> Un tel plan de redressement ne mettra pas fin aux mesures et actions menées à l’étranger notamment à l’encontre d’actifs détenus à l’étranger par les banques libanaises, principalement par l’intermédiaire de filiales, car cet ordre public interne ne saurait dépasser les frontières du pays.

                 III.   CAUSES DE L'EFFONDREMENT DU SECTEUR BANCAIRE

La cause principale de cet effondrement réside dans les PRÊTS MASSIFS A L’ETAT LIBANAIS (par le biais des réserves obligatoires auprès de la BDL) qui avait des besoins énormes de financement du secteur public et de la dette et qui l’a gaspillé par les subventions à l’économie pour acheter la paix sociale (électricité, essence, produits alimentaires et pharmaceutiques).

Les dettes de l’État libanais se décomposent aujourd’hui comme suit :
  * 31 Mds $ en Eurobonds (dette étrangère), dont 50% sont détenus par les banques libanaises ;
  * 70 Mds $ (équivalent LL) dus aux banques locales.

La cause subsidiaire et annexe de l’effondrement du secteur bancaire libanais est la PYRAMIDE DE PONZI incontrôlable qui a été une conséquence fatale de la cause première.

Cette pyramide a été créée par une politique de rémunération insensée sur les dépôts bancaires, mise en place de manière délibérée pour attirer les avoirs de la diaspora étrangère et des investisseurs arabes qui, selon les cas, sont progressivement ou brutalement tombés dans le piège.

La rémunération des dépôts bancaires au Liban a atteint un taux d’intérêt de 12,5% versé sur les comptes USD en mars 2019, à une date à laquelle l’agence de notation Standard & Poor’s comparait déjà le Liban à la Grèce avant son insolvabilité.

L'analyse succincte de la crise chypriote exposée ci-dessous, qui remonte à une dizaine d'années, permet de tirer des enseignements cruciaux pour une future gestion des options disponibles pour tenter de résoudre la crise aiguë que traverse actuellement le Liban.

PRECEDENT DE MOINDRE MAGNITUDE : CRISE CHYPRIOTE (2012-2013)

- Causée par le défaut de paiement de la Grèce en 2008, résultant déjà d'une dette publique excessive, ainsi que par l'interdépendance des économies des deux pays
- Pertes bancaires de 10 Mds€ pour un PIB annuel de 17 Mds€, qualifiée de « faillite bancaire systémique » (Liban en comparaison : 60 Mds$ de pertes – besoins en capital frais du secteur – pour un PIB de 60 Mds$ avant la crise et de 30 Mds$ actuellement)
- Fuite illégale des capitaux et des avoirs de certains oligarques russes
- Liquidation de la 2ème banque du pays (Laiki Bank)
- Perte de 85% des avoirs (« haircut ») sur les comptes > 100K€
- Démission de parlementaires refusant les privatisations exigées par l’étranger[2]
- Mesures d’austérité : augmentation de la TVA, arrêt des subventions, taxes sur l’essence, l’immobilier
                                                                                        (À SUIVRE)
[1] Pour prendre la mesure du désastre, il suffit de constater qu’une étude du Think tank THE TRIANGLE de novembre 2019 mettait en garde au sujet d’une prévision de la contraction du PIB annuel libanais estimée à 0,2%, affirmant que les économies des pays faisant face à ce genre de crises se contractaient de 8% avant d’espérer un redressement. Or le PIB du Liban s’est contracté de 63% depuis cette date ($55 Mds à $20 Mds).
                                                                                 
[2] Modèle psychologique décrit par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross pour ce qui est des 5 étapes successives face à une catastrophe avant l’acceptation et avant de faire son deuil : 1) le déni ; 2) la colère ; 3) le marchandage ; 4) la dépression ; 5) la résignation

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